En cette saison ecclésiale également caractérisée par l'intérêt et la recherche concernant l'humanité de Jésus, il reste cependant une certaine timidité dans l'analyse et la mise en évidence des sentiments de Jésus. En particulier, on évite de lire une de ces manières de se comporter de la part de Jésus : colère, courroux, indignation. Parfois, nous avons l'impression de vouloir présenter un Jésus comme un homme comme nous, mais doux, oléographique, peut-être parce que l'attitude de colère contraste avec le besoin dominant de douceur, de mansuétude, de suppression et de refus du conflit. Pourtant, si nous prenons l'évangile le plus ancien, celui de Marc, ce trait de caractère de Jésus - atténué par les autres évangélistes et parfois même absent - apparaît clairement : la colère, la rage, l'indignation ne sont pas seulement des sentiments humains qui ne signifient pas des voies de péché, mais elles sont plutôt le signe qu'en Jésus il y avait de la passion et une forte conviction. La colère est une réaction à l'indifférence, au silence complice, à la tolérance complaisante, à l'indulgence bon marché, toutes les attitudes qui accompagnent ceux qui ne connaissent pas l'amour, la passion de l'amour. La colère est l'autre face de la compassion ! C'est pourquoi il n'est pas possible d'oublier les mots durs de Jésus, ses invectives, ses attitudes face à certaines situations et parfois même face aux disciples eux-mêmes. La menace, l'invective doivent être dites, si elles sont prononcées comme un avertissement urgent et fort, et non comme un jugement de condamnation !
En colère contre le lépreux
Dans l'Évangile selon Marc, nous trouvons tout d'abord le verbe orghízomai, se mettre en colère, qui apparaît comme le sentiment de Jésus à la vue du lépreux (cf. Mc 1,41). Pourquoi Jésus est-il en colère contre le lépreux ? Parce qu'il ressent une indignation intérieure à la vue de ce malade paria. Dans la compassion qui monte de ses entrailles, il y a aussi ce sentiment d'indignation, qui crie : " Ce n'est pas bien ! ". Pourquoi ? C'est la sainte colère qui proteste devant la souffrance des hommes concrets rencontrés par Jésus.
Colère contre les prétendus observateurs de la Loi
Mais la colère de Jésus se manifeste aussi à l'égard des "justes endurcis", les prétendus observateurs de la Loi. Lorsque, étant entré dans la synagogue le jour du sabbat, il guérit un homme à la main paralysée, les pharisiens l'observent pour l'accuser de transgresser la Torah (cf. Mc 3, 1-4). Et Jésus "tournant son regard vers eux avec colère (orghé), attristé par la dureté de leur cœur…" (Mc 3,5). Ici, l'indignation et la colère se lisent dans le regard de Jésus : un regard qui discerne et avertit sévèrement les présumés sains, les présumés justes !
Colère contre le commerce pratiqué dans le temple
De plus, nous nous souvenons tous de la façon dont Jésus a agi après son entrée triomphale à Jérusalem. Étant monté à Jérusalem, Jésus a trouvé dans le temple ce qui n'aurait pas dû s'y trouver : il a vu la demeure de Dieu transformée en maison de commerce. Puis, "ayant fait une ceinture de cordes, il chassa tout le monde du temple, avec les brebis et les bœufs ; il jeta à terre l'argent des changeurs et renversa les tables" (Jn 2,15). Ici, il y a de l'indignation, de la colère qui se manifeste par des actions qui ne sont pas violentes envers les personnes mais qui causent un dommage économique, une entrave au commerce pratiqué dans le temple. Habituellement, si l'on se souvient de cette action de Jésus, c'est seulement pour dire qu'il était violent et non doux. Non, Jésus ne cède pas à la violence, il ne fait pas violence aux gens, mais il pose un geste prophétique plein de sens, et il le fait avec indignation et colère.
Colère contre les scribes et les pharisiens hypocrites
Enfin, nous connaissons les invectives, les " Malheur à vous ! " répétés sept fois contre les scribes et les pharisiens hypocrites (cf. Mt 23, 13-32), paroles dont l'indignation a été bien interprétée par le film de Pasolini, lorsqu'il nous présente Jésus criant avec force, des paroles acérées qui dépouillent les autorités religieuses des oripeaux de leur pouvoir pour les montrer telles qu'elles sont vraiment, dans leur qualité diabolique !
Ainsi, l'indignation, la colère et le courroux étaient présents en Jésus, témoignant de sa foi convaincue, de sa passion pour la justice, de sa parole prophétique urgente qui voulait nous tenir éveillés, ne pas laisser les autres s'endormir, les admonester pendant qu'il en était encore temps. Malheureusement, ce Jésus est aujourd'hui censuré par des générations de croyants qui n'aiment pas les conflits, qui ont peur de la voix forte, qui fuient l'urgence du oui ou du non. Je suis convaincu que si Jésus revenait aujourd'hui, beaucoup de chrétiens, surtout les moines et les moniales, ne le suivraient pas, parce qu'ils le jugeraient trop dur, trop exigeant, pas assez doux et tendre : ils ne sont pas à blâmer, parce qu'ils ne connaissent pas l'amour et sa passion aussi forte que la mort, aussi tenace que l'enfer (cf. Ct 8, 6).