Pour quelles raisons le poisson est-devenu le symbole des chrétiens à travers le monde ? Que dit ce choix de l’attitude chrétienne ?
Pourquoi le poisson est-il le symbole des chrétiens ?
Dès le Ier siècle, les premiers chrétiens, lors des persécutions romaines, avaient choisi, en signe de reconnaissance, le symbole du poisson, et ce pour plusieurs raisons. La raison principale réside dans le fait que les premiers chrétiens ont vu dans le terme grec ICHTUS un acronyme, c’est-à-dire, un mot formé à partir des initiales de plusieurs autres mots. L’hypothèse privilégiée est que l’acronyme (mot formé avec les initiales d’autres mots) des termes de l’expression Iêsoûs, Khristòs, Theoû, Huiòs, Sôtêr (« Jésus, Christ, de Dieu, fils, sauveur »), forme le mot ikhthus (ἰχθύς ) en grec ancien. Or ce terme signifie « poisson ».
Omniprésent dans le Nouveau Testament
Certains exégètes demeurent dubitatifs et font remarquer que le symbole du poisson est omniprésent dans le Nouveau Testament avec la pêche miraculeuse, l’eau du Jourdain (où vivent des poissons) avec laquelle Jésus est baptisé, etc.
Le poisson est muet
D’autres éléments, propres à la vie du poisson, nous apprennent quelque chose de la vie du chrétien. Ainsi, le poisson est muet. « Muet comme une carpe », dit l’expression. La vie du chrétien n’est pas une vie de revendication. La foi n’est pas la revendication de valeurs chrétiennes. C’est la rencontre de Quelqu’un, Jésus, avec qui nous pouvons avoir chaque jour un cœur à cœur amoureux.
Le poisson nage à contre-courant
La plupart des poissons nagent à contre-courant. Le chrétien ne suit pas la loi du Talion (œil pour œil, dent pour dent). Alors qu’il semble normal aujourd’hui de chercher à se justifier, voire à se faire justice, le chrétien, à la suite du Christ, cherche à aimer. Aimer sans mesure et pardonner. Aimer même ceux qui nous haïssent ou qui nous persécutent. Aimer et donner notre vie à la suite du Christ. Le témoignage du chrétien est donc un témoignage en acte ; un témoignage de charité.
Le poisson ne ferme pas les yeux
Le poisson n’a pas de paupières, il ne cesse de veiller. Cela dit aussi quelque chose de l’attitude chrétienne. Le Christ est ressuscité et désormais, les chrétiens attendent son retour dans la Gloire. C’est ce qu’ils professent juste après la consécration ; après l’acclamation du prêtre « Il est grand le mystère de la Foi », l’Eglise répond : « nous proclamons ta mort Seigneur Jésus, nous célébrons ta Résurrection et nous attendons ta venue dans la Gloire ». Cette attente n’est pas une attente passive, mais bien une attente amoureuse, telle la fiancée qui attend l’arrivée de son fiancé.
Le poisson ne peut pas vivre en dehors de son milieu
Ce milieu, pour le chrétien, c’est l’Eglise. Dans le contexte du Nouveau Testament, la mer, les eaux, représentent la mort et le pouvoir des ténèbres. Dans le récit de la Genèse, le premier animal à être créé est le poisson ; et c’est le seul qui est béni par Dieu. Dans la tradition de l’Eglise, si le poisson est béni, c’est qu’il doit, pour vivre dans un milieu de ténèbres, bénéficier de la Grâce du Créateur. Jésus parle de notre monde comme d’un monde livré au pouvoir des ténèbres. C’est un monde de mort. La seule possibilité de vivre, c’est par la grâce du Christ et donc de façon ordinaire, dans l’Eglise, en recevant d’Elle la Grâce du Christ par les sacrements, la prière, et la méditation de la Parole de Dieu, Parole Vivante et agissante dans le cœur des fidèles.
Cette image du poisson sera reprise notamment par Tertullien. Il l’utilisera pour parler du baptême. Selon lui, par le baptême, les hommes deviennent des petits poissons semblables au grand poisson qu’est Jésus, l’ICHTUS. Par le sacrement de la confirmation, les chrétiens sont envoyés dans le monde, comme des agneaux au milieu des loups. Cette vie pérégrinante est possible par la Grâce obtenue par la Passion, la mort et la Résurrection de Jésus Christ, Fils de Dieu Sauveur.
Et si nous demandions cette grâce d’être de vrais et fidèles poissons, à la suite du Christ afin d’avoir part nous aussi à sa Résurrection ?
La tradition du poisson d’avril pourrait avoir des racines religieuses
En tous les cas, c’est une des explications avancée pour cette tradition du poisson d’avril, à savoir la référence à la symbolique religieuse chrétienne : on se souvient tous du livre (ou du film) Quo vadis, et des poissons que dessinaient sur les murs les premiers chrétiens pour se reconnaître entre eux. C’est évidemment là une vision assez romancée, mais il est vrai que le poisson est sans aucun doute l’un des plus anciens signes religieux de l’ère chrétienne.
Au début, l’art chrétien, notamment celui des catacombes (I à IIIe siècle) se limite à des graffitis et des symboles pour initiés : c’est le cas de l’ichtus chrétien, ce poisson très stylisé, (du grec ancien ἰχθύς/ ikhthús, qui signifie le poisson) dont les lettres grecques sont aussi les initiales de la profession de foi : Ιêsoûs Khristòs Theoû Uiòs Sôtếr, « Jésus-Christ Fils de Dieu, le Sauveur ». C’est une sorte de code pour les premiers chrétiens, contraints de vivre leur foi dans la clandestinité.
Pourquoi le poisson ?
Parce que le poisson a une signification religieuse : c’est synonyme d’abondance dans l’Évangile, (Jésus apporte du pain et des poissons, des histoires de pêche miraculeuse), et par extension, les poissons vont symboliser les chrétiens eux-mêmes qu’il faut pêcher. Puis le poisson devient même la figure symbolique de Jésus, pour les pères de l’Église.
Dans l’Ancien Testament, la Thora, le poisson joue déjà un rôle symbolique important : dans la Genèse, les poissons sont créés lors du cinquième jour, en même temps que les oiseaux et avant le reste de la faune et déjà, là, le poisson est un signe d’abondance et de vie. Tout comme dans les livres d’Ezéchiel, ou Tobit.
Mais pourquoi un poisson et pas simplement l’image du christ pour ces chrétiens ?
Parce qu’on ne représente pas Dieu ! Il faut attendre plusieurs siècles avant que l’on puisse avoir des images religieuses chez les chrétiens. Les symboles vont permettre d’exprimer un sens religieux, car justement, les images figuratives sont interdites.
Pourquoi ? D’abord l’influence du judaïsme, qui banni toute représentation de Dieu. Et puis, les chrétiens étaient réticents car les images, à l’époque, c’était bon pour les païens : l’empereur romain avait basé son culte sur sa propre représentation. Donc il fallait éviter de tomber dans cette idolâtrie ! Il y a enfin la conviction que le Christ échappe radicalement à toute image sensible. D’ailleurs, il faut noter le silence total des évangiles sur la physionomie du Christ : personne ne sait si il avait une barbe et des yeux bleus…
Mais en réalité, les croyants de la base vont éprouver rapidement le besoin de dessiner, d’exprimer leur foi (un peu comme en amour, on a besoin d’exprimer son sentiment, et on va faire des graffitis sur les murs de l’école !). Va se développer progressivement l’usage de symboles, qui ont un sens religieux : c’est ainsi qu’on prend l’habitude de mettre des poissons sur les tombes, à la porte des maisons. Mais pas seulement les poissons : des paons, des colombes (pureté) des agneaux. Le symbole peut plus simplement être constitué de lettre, comme le chrisme (☧formé des deux lettres grecques Χ (chi) et Ρ (rhô)).
Ce qui est intéressant, c’est que ces signes sont développés sous la pression « de la base » et non la hiérarchie religieuse, qui était méfiante à leur encontre. Mais les croyants avaient ce besoin, simple, de figurer ce en quoi ils croyaient. Il faut attendre le troisième siècle pour avoir des instructions sur les symboles païens formellement exclus et sur d’autres susceptibles d’être christianisés (la colombe, le poisson, l’ancre, etc.).
Les premières images religieuses
Au fond, c’est à partir de l’ère constantinienne, au IIIe siècle après JC que le christianisme sort de la clandestinité, il est reconnu. Il n’est plus une religion asociale, il peut annoncer la couleur : à partir de cette époque seulement, commence la représentation d’images, qui ne sont pas des idoles, mais des icônes, et peuvent devenir en elle-même des objets de culte. Ce qui ne va pas de soi, et il y aura la première crise iconoclaste, au VIIe siècle après JC…
Utiliser ainsi des images religieuses va devenir une spécificité du christianisme par rapport aux autres monothéismes : judaïsme et islam ont une distance par rapport à l’iconographie religieuse, même s’il faut nuancer, et ne pas simplifier en disant qu’il n’y a pas d’image dans ces deux religions.
Pour le judaïsme l’interdit biblique du Décalogue est très fort, dans le second commandement : « Tu ne te feras point d’image taillée, ni de représentation quelconque des choses qui sont en haut dans les cieux, qui sont en bas sur la terre, et qui sont dans les eaux plus bas que la terre ». La tradition hébraïque n’interdit pas l’image, simplement, elle rappelle qu’elles sont incapables de représenter Dieu, elles sont foncièrement inadéquates. Et cela a varié dans l’histoire : on trouve des images religieuses dans les premières synagogues, comme celle de Doura Europos, qui se trouve dans le musée de Damas. Mais il n’y a pas d’image de Dieu.
Même chose pour l’islam, où se manifeste aussi cette même méfiance par rapport aux images, et où on ne représente pas Allah. Mais là encore, il faut tenir compte des diverses périodes, et des différences entre les islams, chiisme et le sunnisme notamment : si vous allez au Louvre, au département des arts de l’islam, on voit bien sur tel ou tel objet, tapis, l’utilisation de symboles figuratifs qui ont une signification religieuse.